Témoignage de Léo : changer de directeur de thèse : un parcours du combattant, mais un dénouement salvateur

Sommaire

Léo* est doctorant en sciences expérimentales. Il a accepté de raconter son histoire, étape par étape, jusqu’à la rupture avec son ancien directeur de thèse. Son témoignage authentique et inspirant montre le parcours qu’un doctorant peut vivre lorsque des conflits avec l’encadrant deviennent trop forts pour continuer à collaborer. Aussi, il donne l’exemple de maladresses institutionnelles qui fragilisent le jeune chercheur. Autant d’éléments qui nous font réfléchir sur la protection et l’accompagnement des doctorants en matière de ressources humaines.

*Les prénoms ont été changés afin de respecter l’anonymat de Léo.

Les débuts de l’aventure du doctorat

C’est une histoire assez rocambolesque, quand je la raconte. Depuis, j’ai changé de laboratoire, mais j’y étais depuis mon master. J’y ai fait un stage de master 2. C’est un labo assez récent et le chef d’équipe, Gérald, est assez jeune. J’ai commencé mon projet de thèse pendant ce stage, parce que je savais que je voulais être chercheur et je voulais gagner du temps. Mon projet de thèse était très ambitieux et je le savais. Avant de pouvoir faire la première grosse expérience, il y avait toute une série d’étapes qui devaient être faites avant. Et c’était énormément de travail, jusqu’au moment où il y a eu le covid. Du coup, j’ai changé de projet et j’ai travaillé sur celui d’une doctorante, Marlène, pour l’aider sur sa thèse. Mon stage de master 2 s’est très bien passé, parce que mon encadrement était extraordinaire. J’ai donc passé les concours de mon école doctorale pour obtenir une bourse ministérielle.

La frustration du travail de recherche

En octobre 2020, j’ai commencé ma thèse sous la direction de Gérald. A partir de novembre, j’ai rencontré énormément de problèmes avec ma thèse et mon directeur ne m’aidait pas du tout. Sa solution était toujours la même : ça n’a pas marché, donc je refais pareil. J’étais frustré, car je n’avançais pas et je voyais le temps qui passait. En même temps, ça a dégénéré avec une autre doctorante de Gérald, qu’il l’a complètement abandonnée. Ça a déjà compliqué les choses aux labos, car cette doctorante est géniale, super sympa. Et puis il y avait aussi un autre doctorant dans le labo, qui a changé de directeur de thèse, parce que ça se passait extrêmement mal avec Gérald. Il le harcelait moralement. Donc bonne ambiance dans l’équipe. Il n’y avait que pour Marlène où ça se passait très bien, et moi où ça allait encore. A la fin de l’année 2020, Gérald voit que je n’avance pas et décide de m’aider : “bon je vois que t’y arrive pas, je prends telle partie et tu prends en charge telle partie”. On était déjà en retard sur le calendrier de thèse, mais ça arrive ce genre de chose. Donc je pars en vacances de Noël et Gérald continue de travailler. Je suis revenu en janvier, déterminé, prêt à en découdre. Il faut savoir que les préparations pour la grosse expérience sont très répétitives, et que je faisais les mêmes choses. C’était très frustrant, car ce n’était pas l’expérience en tant que telle, mais juste des préparations. Quand je suis rentré en janvier, Gérald étant censé avoir travaillé, mais quand j’ai regardé mes congélateurs, je n’ai pas vu une trace de ce travail. Je me suis dit qu’il était assez perso, et qu’il avait dû ranger ça quelque part. Donc je continue mon travail. A un meeting avec Gérald, je lui demande qu’on fixe une date à laquelle on peut lancer la manip. Il me répond : “1er février, on lance la manip”. Je savais que ça allait être short, mais tant pis, il fallait y aller. Je ne faisais pas des horaires énormes en tant que doctorant de bio, mais je faisais 09h-18h ou 19h. Pour un doctorant de bio, ce n’est pas énorme. Marlène faisait souvent bien plus et bossait en plus le week-end.

Les premières défaillances de l’encadrement de la thèse

Mi-février, je revois Gérald et je lui fais comprendre que je n’y arrive pas, que je n’avance pas. Je lui rappelle qu’on devait lancer la manip en février et que je commence à me décourager. Je lui parle pendant une quinzaine de minutes et à la fin du meeting, il se lève et me dit : “c’est bon, on a fini ?”. Et là, je suis resté figé et j’ai dit : “oui ok”. Je suis sorti. J’ai eu l’impression de m’être pris un mur. En fait, je me suis rendu compte que ce qui s’était passé avec la doctorante au-dessus de moi et les autres, était en train de m’arriver. Alors que je m’étais dit “non mais ça ne m’arrivera pas, c’est des trucs particuliers”. J’ai senti que ça partait dans le mauvais sens.

Une semaine plus tard, on refait le point, et je lui redis que je m’inquiète parce qu’on devait lancer début février. Et là, il me dit : “mais non, j’ai jamais dit ça. J’ai toujours dit qu’on lancerait fin février”. Je lui réponds que non, et il me dit : “ah non non, j’ai jamais dit ça. On lancera fin février, point. Après, moi je suis prêt, toi, t’es pas prêt c’est de ta faute. J’y peux rien si tu ne sais pas maniper correctement”. Il a continué à déblatérer, à dire que lui savait faire, que je ne savais rien faire, que si on était en retard, c’était de ma faute. Je lui ai proposé de lancer quand même à 50 %, il m’a encore dit non, que je ne savais pas faire, lui oui, donc c’était non. Il ne m’a pas hurlé dessus, mais il était assez énervé, assez virulent. J’ai compris que j’étais son technicien de labo, que je n’avais rien à dire, et que j’étais une merde.

La relation entre le doctorant et le directeur se détériore : des limites sont franchies

Le lundi suivant, on a encore eu un problème à l’animalerie, parce que je travaille avec des animaux. Le week-end les doctorants sont rémunérés pour passer vérifier que tout va bien. Ce week-end là, il se trouve que ce n’était pas moi qui s’occupait de l’animalerie, mais une autre doctorante. A cause du covid, il y a eu un manque de personnel et un manque d’eau pour les souris. La doctorante n’a pas vu et les souris de Gérald sont mortes de déshydratation. Le lundi après-midi, je passe dans le couloir et il me hèle : “hé, Léo, viens par là !”. Je me mets à stresser, parce qu’à chaque fois, je savais qu’il allait me mentir ou me traiter de merde. J’étais déjà rendu à un point où psychologiquement, j’avais “peur de lui" entre guillemets. Je vais le voir et il demande si c’était moi qui étais en charge des animaux le week-end. Je lui réponds que non et il se met à me hurler dessus : “t’es payé pour t’occuper des animaux. A cause de toi, j’ai perdu 6 mois de manip. Alors maintenant, tu vas changer les putains de biberons, parce que c’est pour ça que t’es payé”. Il était rouge écarlate. Il m’a hurlé dessus devant un pote qui n’a rien fait du tout. Je lui ai répondu, sans m’énerver : “je transmettrai le message à l’autre doctorante”, et je suis parti. Ensuite, Gérald a envoyé un mail incendiaire à la responsable de l’animalerie, à la doctorante, à moi, il a mis tout le monde en copie. La responsable nous a défendus en précisant que les animaux étaient toujours la responsabilité de l’expérimentateur. Ça en est resté là, mais c’était assez musclé. On en était là, fin février.

Mon projet n’avançait pas, j’avais peur de Gérald. Je savais qu’il avait déjà tapé du poing sur la table à un meeting, donc je me disais : je vais aller le voir et il va me casser la gueule. C’était très compliqué pour moi de venir au labo, mais j’avais de la chance d’avoir des collègues avec qui je m’entendais bien et il n’était pas question que je change de labo. Mes parents ont commencé à s’inquiéter et m’ont demandé si je ne devais pas changer d’équipe. Pour moi, c’était hors de question.

La recherche de solution et de soutien pour améliorer la situation

Fin février, j’ai discuté avec la doctorante pour qui ça se passait très mal avec Gérald. J’avais des doutes sur la relation entre Marlène et Gérald. Je les ai toujours trouvés très proches, mais bon, je me suis dit aussi “c’est pas bien de penser ce genre de chose, c’est très cliché.” Mais la doctorante m’a confirmé qu’ils étaient bien en couple et ça expliquait beaucoup de choses : pourquoi Gérald était toujours au courant dès qu’on disait quelque chose à Marlène, pourquoi beaucoup de choses tournait autour d’elle, avec un ingé et un post-doc qui travaillaient sur son projet. J’ai compris pourquoi tout se concentrait autour d’elle dans le labo. J’ai demandé à cette doctorante si Gérald manipulait les données, parce que pour moi, c’était la ligne rouge, le truc que je veux jamais avoir à faire. Elle m’a expliqué qu’il y avait eu plusieurs fois où Gérald avait demandé d’enlever tel ou tel point sur le graphe, parce que c’était plus significatif, parce qu’on voyait mieux la tendance, ce genre de choses. En plus, pour le projet de thèse de cette doctorante, Gérald n’a jamais voulu lui donner les dates d’origine. Et là, je me suis dit que c’était hors de question que je reste dans ce labo.

Il y a deux trucs qui m’ont sauvé à ce moment-là. Je suis une personne qui a confiance en soi, et notamment, j’ai confiance parce que j’ai eu une excellente formation, avec beaucoup de stages. Je savais donc que quand Gérald disait que j’étais une merde, ce n’était pas vrai.

La deuxième chose, c’est que j’ai contacté une ancienne prof de mon master pour lui expliquer la situation et lui demander si elle connaissait des labos. Elle m’a répondu directement en me donnant son numéro pour que je l’appelle. Le lendemain matin, j’étais au téléphone avec elle et je lui ai tout raconté, sauf l’histoire entre Gérald et Marlène, parce que c’est personnel même si ça déborde complètement sur le labo. Elle m’a dit “tu as complètement raison, ce n’est pas toi le problème, c’est ton directeur, il faut que tu changes de labo”. Et quand tu as quelqu’un qui est une chercheuse brillante, une excellente prof, qui a encadré des doctorants, qui te dit ça, tu te rends compte que c’est la vérité. C’est différent de l’entendre dans la bouche de quelqu’un d’autre. Y a toujours des moments où tu doutes, tu te remets en question, tu cherches des excuses à son comportement.

Le changement de direction de thèse et de laboratoire : un parcours insécurisant

J’ai contacté le directeur de l’école doctorale. Le problème, c’est que c’est un chercheur de l’équipe de Gérald, conflit d’intérêt évident. Je lui ai expliqué l’histoire et il m’a dit que c’était dommage, mais que si c’était ce que je voulais, je devais partir. Il m’a aussi dit qu’il fallait que je fasse une médiation avec Gérald, puis que j’aurais un rendez-vous avec l’école doctorale, puis enfin qu’on aurait un rendez-vous tous ensemble pour voir ce qu’on pourrait faire.

Le lendemain, je rencontre Gérald et je lui dis que je ne veux plus continuer ma thèse avec lui et que je veux changer de directeur. Il m’a répondu : “ok”. Juste ça. Je lui ai demandé s’il voulait que je lui explique pourquoi, il m’a répondu : “vas-y si t’as envie”, un peu comme si je lui disais juste que je partais plus tôt demain. En amont, j’avais préparé une feuille avec toutes les raisons, avec un exemple pour ne pas qu’il essaye de me retourner. Je lui ai expliqué point par point et pendant 20 minutes, il m’a dit que j’étais une merde, que lui savait et pas moi. Par exemple, quand je lui ai parlé de la fois où il m’a hurlé dessus, il m’a répondu “non mais Léo, je n’agissais pas en tant que directeur de thèse, mais en tant que directeur de l’animalerie”. Mais en fait t’as pas le droit de me hurler dessus, personne n’a le droit. Et à la fin de la réunion, je lui ai expliqué le processus, et il m’a dit “tu sais quoi ?! Hé bah on va aller tout de suite dans le bureau du directeur de l’école doctorale”. On y est allé et on s’est retrouvé dans son bureau. Le directeur de l’école doctorale était gêné et il a essayé de ménager un peu tout le monde. A la fin, je précise à Gérald que je suis prêt à continuer le projet de recherche, parce que je suis encore sous contrat. Il m’a répondu: “ok, on verra ça”. Il se trouve que j’avais aussi un autre projet que j’avais commencé en master 2, et je lui ai parlé de celui-là aussi. Et là, il me dit : “c’est hors de question, ce projet, il appartient à Gérald. Donc quand tu pars, ce projet, il reste là”. Le lendemain, je lui envoie un mail par rapport à ce dont on a discuté la veille et il me répond : “non, tu t’en occupes plus”.

Donc, en fait, il m’a retiré mon projet de thèse et j’ai passé un mois, avant de trouver un autre labo, à rien faire. C’était super long. Il faut dire que mon école doctorale ne m’a été d’aucune aide. Je n’ai reçu aucun mail pour me parler des labos. Encore pire, j’ai eu un rendez-vous avec l’école doctorale, avec deux chercheurs pour parler de la situation et j’ai eu le droit à des questions comme : “non mais vous êtes sûr que vous avez bien compris ce qu’il a voulu vous dire ?” ou “vous ne pensez pas que vous cherchez à avoir trop de réponses à vos questions ?” Ce genre de commentaires qui n’étaient pas méchants, mais ils n’ont rien compris.

En gros, ils avaient la même position que Gérald. Mais je leur ai répondu que je comprenais bien qu’il y avait des choses qu’un doctorant ne peut pas comprendre, mais je voulais juste une raison et j’en n’ai jamais eu. A la fin d’une heure d’échange, ils m’ont dit “écoutez, on reviendra vers vous pour fixer la date du meeting tous ensemble”. J’ai quand même réussi à trouver quelqu’un avec qui discuter pour intégrer un nouveau labo, mais rien n’est fixé.

Le mois de mars passe. Je me fais chier parce que je n’ai rien à faire. J’essaye d’éviter Gérald, il m’évite. Je stresse de le croiser. L’ambiance dans le labo s’est vraiment dégradée à cause de ces problèmes et en plus on savait qu’on ne pouvait pas en parler parce que Marlène allait tout répéter. A un moment, comme j’en ai marre d’attendre, je vais voir la personne avec qui je suis en contact et elle me dit que son labo est ok pour me prendre et qu’il attend juste que les problèmes avec l’école doctorale soient réglés. Dans la foulée, j’envoie un mail pour demander où est-ce que ça en est pour la troisième étape de la médiation, le rendez-vous en commun avec tout le monde. Et ils répondent : “non mais c’est bon pour vous, la médiation est terminée”.

En fait ça faisait un mois que j’avais zéro nouvelle de l’école doctorale, que personne ne m’avait prévu qu’il n’y aurait pas de médiation, que j’aurais pas à être confronté à Gérald. Personne ne s’est assuré si j’allais bien non plus. J’étais un peu énervé contre le directeur de l’école doctorale, qui était dans mon labo. Parce que ça veut dire qu’il m’a induit en erreur et qu’à un moment, j’allais être confronté à Gérald.

Moi ça ne me posait pas de problème parce que de toute façon, je savais que j’allais me barrer, qu’il pouvait me dire ce qu’il voulait, ça ne changerait rien. Sauf que des personnes qui auraient eu moins confiance, ils auraient été encore plus terrorisés par un directeur de thèse comme lui, quand on leur aurait dit : “vous allez être confronté à lui”, y en a qui auraient refusé de faire la médiation à cause de ça. C’est la même chose que pour une situation de harcèlement ou d’agression sexuelle. Y a des doctorants qui auraient préféré rester plutôt que de le confronter. Là, je trouve que l’école doctorale a été archi nulle.

Le bilan de la relation avec l’ancien directeur de thèse : suspicion de comportements pervers narcissiques

Voilà ce qu’il m’est arrivé. J’ai changé d’équipe, maintenant ça se passe très bien. Quand je le croise, on se dit “Salut”. Y a pas de problème. Mais en fait, je me suis rendu compte que c’était un pervers narcissique. Je connaissais parce que j’avais lu une bd dessus, mais ça concernait les relations amoureuses. Progressivement, j’ai décortiqué et j’ai cassé tout le système qu’il avait mis en place. Par exemple, on avait ordre de ne pas parler aux gens du troisième étage, soit disant parce qu’ils étaient nuls, qu’ils faisaient de la vieille science. Il y avait un système de “on était les gentils et tout autour, c’étaient les méchants”. Comme pour le pervers narcissique, où tu peux pas compter sur tes amis et il n’y a que lui qui compte. Ensuite, je me suis rendu compte au niveau de son comportement, des choses qui posaient problème : il te parle, après il te parle plus, il te dit que t’es nul, après il te fait un compliment. C’est plein de mécanismes de manipulation dans lesquels tu tombes sans t’en rendre compte. En fait, c’est hallucinant parce que je m’étais dit que jamais je ne pourrais me faire manipuler. Mais en réalité, il était tellement fort à faire ça que tout le monde tombait dans le panneau. Je me suis barré, c’était la seule solution, parce qu’un pervers narcissique ça ne change pas. Dans quel état je serais à l’heure actuelle ? Déjà, ça m’a dégoûté de la recherche, ça m’a enlevé ce rêve-là. Je vois tous les labos autour de moi, tous les jeunes chercheurs sont plus ou moins du même genre. Je ne veux pas être entouré par des gens comme ça, quand je vois l’état dans lequel se trouve l’ancien doctorant de Gérald. Une fois, on s’est retrouvé pour boire un coup et il m’a dit: “c’est génial, je dors enfin à nouveau”. Il lui a fallu un an pour arriver à s’en remettre.

La désillusion sur le milieu universitaire et la méfiance vis-à-vis des “organes protecteurs”

Je pense que le fonctionnement de la recherche favorise ces personnes. Déjà, elles sont sélectionnées. Ce sont des jeunes chercheurs ultra-ambitieux. Lui, il manipulait tous les jours de 8h à 23h. Il n’avait pas d’enfant, il ne faisait que ça. Ensuite, il est protégé. Parce que j’ai signalé le problème à l’école doctorale et il se trouve qu’il a des nouveaux doctorants. L’école doctorale sait parfaitement ce qu’il se passe au labo, mais ne fait rien. J’ai prévenu le directeur d’unité et il m’a dit : “ohlala, c’est incroyable, j’étais pas du tout au courant”. Une autre doctorante a aussi témoigné du comportement de Gérald, parce qu’elle m’a vu le faire et ça l’a encouragé. Donc on a été 2 à parler du même genre de phénomène, et il ne s’est absolument rien passé. En fait, Gérald est intouchable. Il fait des gros articles et il rapporte des projets. Pourtant, il vole tout le temps à tout le monde, même s’il a plein d’argent. Il a besoin d’un truc, s’il ne l’a pas tout de suite, il va le voler dans un autre frigo. Et donc en réunion, il y a déjà des menaces de blâme contre lui et ça s’est fini par : “si vous faites ça, je contacte la direction et je les préviens que vous m’empêchez de faire de la recherche”. La seule chose qui le fera tomber, c’est la justice. Parce que le grand public peut être au courant, et ça fait tache. Je ne l’ai pas fait au niveau des RH, parce qu’il y a eu un signalement concernant un autre chercheur avec un comportement déplacé et il ne s’est jamais rien passé. Concernant la médecine du travail, j’y pensais, mais je ne l’ai pas fait parce que je voulais juste me barrer. Depuis, je les ai prévenus, mais ça ne changera rien.

J’ai appris l’existence des syndicats tout récemment. Pareil pour les représentants des doctorants, j’ai su il y a deux mois qui ils étaient dans mon école doctorale. On n’a jamais eu l’information, même pendant les formations de l’école doctorale. On nous a jamais dits qui ils étaient et quel était leur rôle. Mais oui, je me dis que j’aurais dû faire ça. Et d’ailleurs, en pensant à la médiation, je pense que ce n’est pas normal qu’on y aille seul. Je ne sais pas si c’est la loi, mais pour moi, c’est inadmissible que dans un moment de médiation comme ça, il n’y ait pas un représentant doctorant ou un syndicat doctorant. Ce n’est pas normal.

Réapprendre à respecter ses limites, prendre du recul et avancer vers un avenir plus digne

En fait, par rapport à ça, au tout début, je me suis dit que je n’allais pas pouvoir changer, parce que les labos que je contacterais demanderaient à Gérald de parler de moi et il allait me pourrir. Ensuite, je me suis dit que j’allais avoir besoin du réseau de Gérald pour les post-docs. Au final, je me suis dit que ce n’était pas vrai. C’est vraiment un truc de pervers narcissique de faire croire qu’il maîtrise absolument tout, mais ce n’est pas vrai. J’ai le pouvoir de partir et une fois parti, il n’aurait plus la mainmise.

C’était surtout l’attente pendant un mois qui a été très difficile, mais je ne me suis pas senti en mal-être psychologique. Je dormais correctement et en plus, je suis quelqu’un de très sportif. Je ne fume pas, je ne bois pas, je mange très sainement. Je sais que ça m’a aidé. En plus, j’ai la chance d’avoir des proches qui font très attention à moi.

Après ce qui a été difficile, c’était le moment où c’était juste avant de partir, parce que je me demandais tout le temps à quelle sauce j’allais être mangé par Gérald. Une fois que je suis parti, c’est allé mieux, parce qu’il a perdu son pouvoir sur moi. Au début, j’ai cru qu’il allait essayer de me faire chier, mais il ne l’a jamais fait. Je sais par exemple qu’il a dit à tout le monde dans mon dos que j’étais une “erreur de recrutement”. Il a aussi menti sur mon profil. Mais ça s’est très bien passé ensuite, surtout avec ma nouvelle équipe. Je me suis rendu compte à quel point il mentait sur les autres, qu’ils n’étaient pas tous méchants. Dès que j’ai l’occasion, je témoigne, parce qu’il faut que ça serve, que les gens réalisent. Les gens qui me connaissent disent : “jamais on n’aurait pensé que ça serait arrivé à toi”.

Ça devrait faire partie de la formation en fait. Parce qu’avant d’aller là-bas, j’ai posé plein de questions à des chercheurs et le labo cochait toutes les cases. Il n’y avait rien qui indiquait que ça se passerait comme ça. Ce qu’il faudrait, c’est être formé, pour que quand ça commence à arriver, tu saches comment réagir, comment détecter les problèmes.

Quelques conseils en conclusion

La première chose que je ferais, au moment où tu sens que ça commence à déraper, tu prends des notes sur tout, tu gardes les mails. Ensuite, tu identifies une personne de confiance, un chercheur qui n’a pas de lien avec lui, pas le même champ de recherche, pas le même bâtiment. Par exemple, un prof qu’on a vu pendant plusieurs années en cours. Et tu demandes un rendez-vous pour en discuter et estimer à quel point la situation est grave. Enfin, le troisième truc : la thèse est un contrat de travail. C’est un CDD de trois ans, donc tu as des devoirs et des droits, et on ne peut pas te l’enlever. Ce que ça veut dire, c’est que comme il y a un contrat de travail, tu as le droit de partir. Je comprends qu’il y a un diplôme derrière, de l’académique, mais, en tout cas dans mon entourage, peu travailleront dans la recherche académique après leur thèse. Donc tu n’es pas obligé de faire une thèse. Quitter sa thèse ce n’est pas un échec, si ça se passe mal, on peut l’arrêter. Je comprends que c’est difficile, mais entre sa santé et la thèse, il n’y a pas photo.